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Va-et-vient (6/11) ou la traduction de Swings, de Lynn Steger Strong

La fille de Port St. Lucie commença à lui écrire une fois par jour et il oublia presque qui était celle qui le textait. Il n’imaginait jamais qui que ce soit quand il recevait les messages; il était seulement soulagé de continuer d’en recevoir. Elle lui demandait comment il allait et il lui répondait franchement et ça faisait du bien. J’ai eu une journée de merde, pouvait-il dire. Je me suis encore fait crier dessus au beau milieu de la nuit. Mon patron m’a traité de moumoune. Il travaillait pour une société financière privée composée presque exclusivement d’hommes. Il était vaguement au courant que certains d’entre eux avaient aussi des enfants, mais ils n’en parlaient pas ou ne semblaient pas vraiment contribuer à les élever, sauf financièrement, et il lui parla un peu de ça. Comment il était bizarre de penser qu’ils étaient aussi des pères. Qu'eux aussi retournaient à la maison et retrouvaient femmes et enfants, mais sans trop savoir pourquoi, leurs versions de ces mots étaient complètement différentes de la sienne.

Port St. Lucie était en Floride, loin de New York, et il n’y avait pas de risques de tomber sur elle ou de lui parler. Ça lui semblait bizarrement plus intime que toute autre chose, lui raconter chaque jour par texto comment avait été sa journée. Lui parler du bébé, du travail. À la maison, il prenait le bébé en arrivant, ou du moins, il essayait; parfois, ça irritait Julie.

« Tu ne me fais pas confiance avec elle », dit-elle. « Tu penses que je la néglige. »

Il ne le pensait pas, mais c’était vrai qu’il s’inquiétait. Elle semblait tellement furieuse. Il se demandait quel genre d'effet ça pouvait avoir sur le bébé de se trouver en sa compagnie quand elle dans cet état.

« Je te trouve parfaite », répondit-il. C’était la seule chose qu’il pouvait se risquer à dire, même si sa femme était trop intelligente pour avaler de telles stupidités.

« Putain, Andrew », dit-elle.

Il lui prit le bébé des bras et l’emmaillota dans le porte-bébé.

« Je vais aller la promener. »

Ma femme me déteste, texta-t-il assis sur un banc au parc, le bébé ronflant et reniflant sur sa poitrine. Je pense que la maternité l’a rendue folle

N’est-ce pas toujours ce qui arrive? répondit-elle aussitôt qu’il eut envoyé le message. Comme si elle avait été assise là à attendre qu’il dise quelque chose, à attendre de savoir comment il allait.

J’imagine? dit-il. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit en colère comme ça tout le temps.

Elle était comment avant? texta-t-elle.

Je ne m’en souviens plus, répondit-il.

LOL, fit-elle.

Drôle? dit-il. Elle était drôle. Incroyablement intelligente.

Il écrivit tout un tas d’autres choses qu’il supprima ensuite. Elle était, écrivit-il sans envoyer le message, ma personne préférée au monde.
***

Réflexion

Dans cet extrait, je me suis demandé ce que voulait dire l'auteure quand elle écrit Like she’d just been sitting there, waiting for him to say something, waiting to hear again how he was. L'homme s'imagine-t-il la fille aux seins assise sur le banc près de lui? Est-ce ce degré d'intensité dans la relation interdite qui doit être transmise et si oui, est-ce qu'il y a quelque chose de spécial à considérer dans la traduction? J'ai décidé de jouer de prudence et de ne rien introduire qui risquerait de dire plus que ce qu'a écrit l'auteure.

Quant à la partie la plus difficile à traduire dans cet extrait, c'est celle-ci : She was, he typed but didn’t send to anyone, my favorite person in the world. J'ai hésité longtemps entre inclure le monde ou non, car il me semblait moins nécessaire, voire peu naturel, de préciser de quel groupe elle est sa préférée. J'ai décidé de le garder, car on dirait tout de même qu'il manque quelque chose à « Ma personne préférée ». J'ai également hésiter à traduire « monde » par « univers », qui me semblait plus idiomatique (« Ma personne préférée de tout l'univers »), mais je me suis dit que l'auteure aurait pu utiliser ce terme si elle avait voulu. Je ne suis tout de même pas convaincue de mon choix et me réserve le droit de changer d'idée après avoir mis de côté le texte pendant quelques semaines :)

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