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Messages

Affichage des messages du 2019

Complainte d'une traductrice impatiente

Lectrice assidue, avec un penchant naturel pour les littératures de l’imaginaire (ou noires), les nouvelles et la bédé, je me laisse séduire par tout ce qui arrive à m’accrocher en quelques lignes. Je lis en français et en anglais. Je butine parmi les suggestions des Libraires . Je me laisse influencer par les critiques qui interviennent dans les podcasts littéraires que j’écoute (salutations, gens de La librairie francophone ). Je suis des auteurs que j’aime sur Twitter. Je suis abonnée aux listes de distribution de quelques magazines américains et canadiens en ligne qui publient des nouvelles. Je manque de temps pour lire  tout  ce que je voudrais lire et je manque de temps pour traduire tout ce que je voudrais traduire. Si un texte me touche ou m'interpelle et que j’ai envie de le traduire, je ne pense pas nécessairement à l’endroit où je pourrai soumettre la traduction quand je l'aurai terminée. Je pense seulement au plaisir que j’éprouverai à tenter de retransmettre dans m

La traduction de textes littéraires, c'est comme partager son dessert préféré

Sans nécessairement avoir un coup de foudre, l’important en traduction littéraire, c'est de s’attacher à un texte, d’éprouver pour lui une affection qui soit suffisante pour que naisse en nous un besoin de le transmettre en le recréant dans sa langue. La traductrice est tel un médiateur qui, pour user d’une analogie d’inspiration aristotélicienne [1] ,  doit saisir l'essence du texte dans sa langue originale et l'actualiser dans sa propre langue. Elle doit être en mesure de reproduire cette voix qui lui a parlé à la première lecture du texte et, par cette reproduction, espérer que résonnera chez celui ou celle qui lira sa traduction cette parenté qu'elle a elle-même ressentie dans le texte original, ce sentiment de familiarité qu'elle a décelé dans cet ailleurs. Traduire, c'est un peu comme partager son dessert préféré. Qu'on a fait soi-même. À partir de la recette de quelqu'un d'autre. Bon, le temps est vraisemblablement venu de passer à

Traduction et francophonie (ou comment il faut prendre en considération le lectorat)

Une nouvelle fois, pour illustrer mes propos, j'utiliserai l'exemple de Rich Larson, auteur que j'ai le plus traduit jusqu'à présent.  Si un lectorat québécois peut comprendre aisément les expressions plus typiquement françaises de par son exposition, depuis sa tendre enfance, à une culture générale française, notamment par la consommation de productions culturelles en provenance de l’Hexagone ou de doublage made in France de films et d’émissions, l’inverse ne va pas de soi. Ainsi, traduire pour un lectorat européen  quand on est Québécoise et qu'on aspire à faire publier ses traductions en Europe exigera souvent de camoufler sa spécificité culturelle et linguistique pour rendre plus neutres certaines expressions et références culturelles, tout en évitant de diluer le texte. Il est d'autant plus essentiel de prendre en considération à qui s’adresse la traduction que le langage familier et parlé en français n’a généralement pas la même structure, le même

Traduction et polysémie

Trouver des équivalents en français qui sont tout aussi polysémiques que les termes originaux est une des principales difficultés de la traductrice qui cherche à faire honneur aux différents niveaux de sens d’un texte. Il n’est malheureusement pas toujours possible de le faire sans se perdre dans les méandres de phrases alambiquées et ainsi dénaturer le texte. Il faut choisir ses combats et faire des choix. En règle générale, la polysémie doit toujours être conservée, car certains passages, anodins en apparence, se révèlent lourds de sens quand on en saisit les multiples significations ou ce qu’ils sous-entendent. Par exemple, dans Smear Job [1] , le titre même du texte présente un problème de traduction de par les deux sens que l’auteur y attache dans le texte. En effet, outre l’idée attendue de campagne de salissage, ce terme évoque également une intervention chirurgicale qui a pour effet de brouiller la vue de la personne qui la subit et de l’empêcher, sélectivement, de voir ce

La traduction de mots inventés

Pour illustrer mes propos dans ce qui suit, j'utiliserai l'exemple de l'auteur que j'ai le plus traduit jusqu'à présent, soit Rich Larson.  Jeune auteur anglo-canadien, Rich Larson a près de 150 publications à son actif, dont un recueil de nouvelles, Tomorrow Factory , et un roman, Annex . Son domaine de prédilection est la littérature dite de genre, plus précisément la science-fiction, le fantastique et l’horreur.  La création de mots par les auteurs de science-fiction témoigne de cette utilisation innovante de concepts dont je parlais dans le billet précédent – et c’est peut-être sur ce point seulement que je pourrais avancer que la traduction de textes de science-fiction diffère de la traduction de textes littéraires d’ordre plus général : la traductrice doit en effet avoir un minimum de ressources créatives pour arriver à inventer de toutes pièces certains éléments de sa propre langue. Ces ressources devront être plus ou moins vastes selon la complexité

Traduction et science-fiction

La science-fiction a ceci de commun avec la traduction qu’elle se caractérise par l’altérité, par le regard tourné vers l’extérieur, par l’intérêt envers ce qui est différent ou qui n’existe pas encore. La traduction vise en effet à transmettre l’autre, en se l’appropriant et en saisissant son essence. Elle aspire, en transposant dans la langue d’arrivée ce que l’autre a exprimé dans la langue de départ, à provoquer chez le lecteur de sa propre langue la même réaction que la lecture de l’original a provoquée chez la traductrice. La science-fiction, en tant que genre, tend tellement vers ce qui n’existe pas encore qu’elle a une propension à l’inventer, en créant des mondes qui se situent dans un futur plus ou moins rapproché et en se servant de manière novatrice de certains concepts pour poser un regard critique sur la réalité actuelle. À l’instar de la science-fiction, la traduction littéraire constitue un acte de création à plusieurs égards – j’examinerai comment dans les billets

La traduction de textes littéraires

La traduction de textes littéraires a l’avantage d’offrir une grande marge de manœuvre créatrice à la traductrice : elle lui permet de s’exprimer au-delà du cadre très formel dans lequel elle évolue habituellement si elle n’a pas le bonheur d’être traductrice littéraire à temps plein. Très peu l’ont, ce bonheur. Le plus important pour bien traduire un texte littéraire, c’est que le texte nous parle d’abord en tant que lecteur; qu’il fasse vibrer en nous une corde, n’importe laquelle; qu’il appelle une reconnaissance, un sentiment qu’il existe une sorte de lien de parenté entre le texte de l’auteur que nous venons de lire et la traduction qui cherche à sortir et dont nous ignorions jusque-là l’existence. Pour l’écrivain, le texte n’est généralement pas qu’un simple exercice de rédaction : il représente souvent chez lui la satisfaction d’un besoin viscéral d’expression, et il y transpose une partie de lui-même. Il est donc tout aussi nécessaire pour la traductrice, en tant que lec