La traduction de textes littéraires a l’avantage d’offrir une grande
marge de manœuvre créatrice à la traductrice : elle lui permet de
s’exprimer au-delà du cadre très formel dans lequel elle évolue habituellement
si elle n’a pas le bonheur d’être traductrice littéraire à temps plein. Très peu
l’ont, ce bonheur.
Le plus important pour bien traduire un texte
littéraire, c’est que le texte nous
parle d’abord en tant que lecteur; qu’il fasse vibrer en nous une corde,
n’importe laquelle; qu’il appelle une reconnaissance, un sentiment qu’il existe
une sorte de lien de parenté entre le texte de l’auteur que nous venons de lire
et la traduction qui cherche à sortir et dont nous ignorions jusque-là l’existence.
Pour l’écrivain, le texte n’est généralement pas qu’un simple exercice de
rédaction : il représente souvent chez lui la satisfaction d’un besoin
viscéral d’expression, et il y transpose une partie de lui-même. Il est donc
tout aussi nécessaire pour la traductrice, en tant que lectrice d’abord, d’être
en mesure de ressentir, ou à tout le moins d’établir, un certain lien émotif
avec le texte original si elle espère ensuite en faire quelque chose qui soit
digne de ce besoin qu’avait l’auteur de transmettre et de partager cette partie
de lui-même.
La
plupart du temps, c’est une intuition qui fait que le lecteur aime un texte ou
qu’il éprouve pour lui un début d’affection. Il ne peut pas d’emblée s’expliquer
pourquoi, mais le texte lui plaît, le touche et l’appelle; il fait vibrer en lui
cette corde dont je parlais plus haut. Pour la traductrice, c’est en le
traduisant qu'elle découvre pourquoi : parce que sous ses allures parfois
anodines, le texte est profond; parce que tous les mots qui le composent sont
pesés et jamais utilisés au hasard; parce que chacun d’eux – ou presque – est
porteur d’un sens qui sert l’histoire et pointe vers des avenues de réflexion
qui vont bien au-delà du cadre du texte et de la forme que lui a donnée
l’auteur.
(Premier extrait retravaillé de mon article publié dans la revue française Galaxies, numéro 61, Dossier spécial sur la science-fiction au Québec dirigé par Jean-Louis Trudel, septembre 2019)
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